dimanche 28 septembre 2014

Abalone à main levée

Salut l'ami, ça faisait depuis le départ que je voulais te présenter un peu mieux Abalone, le beau ketsch presque quarantenaire qui nous emmène outre horizon. Puisqu'on est au repos contraint et forcé dans un port tranquille pour cause d'avarie mécanique, c'est l'occaz'. C'est plus facile de dessiner quand ça ne gite pas. Sauf que oui je sais, j'ai les doigts rouillés, cette année, je m'y remets...

L'idée c'est juste que tu comprennes un peu mieux de quoi je parle, quand je raconte notre petite vie à bord.


Handmade, à la lampe frontale, avec un stylo noir qui coule. Les potes archi et graphistes m'excuseront j'espère.





Vocabulaire à apprendre ou revoir pour les prochaines semaines :
- gênois (ou foc) =  voile de l'avant
- grand voile : voile qui part du mat et se déploie sur la bôme, cette "barre" horizontale qui part du mât
- le carré : c'est la pièce principale à l'intérieur, où déplie la table, on on cuisine, où se trouve la table à cartes, ...
- le cockpit : c'est un peu notre cour. Le lieu de vie à l'extérieur, d'où on tient la barre, observe, où on bronze et sieste. Le poste arrière, ma "cabine", est derrière le cockpit. L'artimon est la voile se déploie au dessus de ma tête du coup, sur le deuxième mât, judicieusement appelé "mât d'artimon"...

Et puis ce petit banc à la proue, c'est une planche posée au plus chouette endroit, pour voir plus loin, chevaucher les vagues, et jouer avec nos potes les dauphins.



Tout ce qui brille

De jolies choses, ça on en en voit. Des couleurs, des lumières, des beautés sur la route qu'on trace. Qu'est ce qui les rend joli ? Qu'est-ce qui les rend spéciales ?

Je me souviens une nuit, il y a six ans, dans le tout nord de l'Argentine, bien haut dans les Andes. Tu te rappelles Elo ? Le soir des fêtes de la Pachama début août, Lili, une quinquagénaire hippie à dreads qui nous avait proposé de la suivre dans la communauté aymara pour célébrer la Pacha, s'arrête et lève les yeux au ciel et nous invite à faire de même. Et là, on réalise qu'on est sous une voute de diamants vraiment. Je n'avais jamais été si près des étoiles. Elle nous dit de regarder, là-bàs, qu'on voit même tomber la via lactea, la voie lactée. J'ai hoché la tête, les yeux écarquillés, j'ai jamais bien compris comment on pouvaiit voir la Voie lactée, vu qu'on est dedans. Mais on voyait distinctement comme une constellation. Depuis je regarde vraiment souvent, l'état du ciel au-dessus de nos têtes. A Paris, les quelques étoiles qui se pavanaient au-dessus de notre balcon haut perché sur Belleville était déjà émouvantes, dans la force qu'elles mettaient à briller, malgré tout, au-dessus de la dite "ville lumière".

Ici ,et depuis que je suis partie, à m'extasier aux reflets du soleil sur une mer d'huile, au luisant du thon qui saute sûrement coursé un par un plus gros que lui, du plancton phosphorescent qui chaque nuit me fait voir monts et merveille, et du ciel, toujours plus incroyable, je me rends compte de quelque chose. j'aime ce qui brille. Je suis bling-bling en fait ! Tout ce qui brille n'est pas de l'or heureusement, moi j'aime le brillant qui ne se capture pas. Le poisson une fois pêché perd son luisant, l'émotion des reflets du soleil à la surface ne passera pas l'épreuve de la photo, pas plus que l'étrave luisante sous un ciel étoilé. Tout juste je peux vous le conter, un peu.



Du coup, je cherchais un autre truc beau à partager. Cueilli sur notre chemin, un phénomène incroyable. Des trombes marines ça s'appelle.
Voilà ce qu'explique wiki :

Une trombe marine est une colonne d'air mélangé d'eau en rotation, formant un entonnoir nuageux, sous un nuage convectif au-dessus d'une étendue d'eau.

Apparemment donc, quand de l'eau froid passe au dessus d'eau chaude, il l'aspire, l'eau monte et ces colonnes d'eau se forment. On en a vu en quittant Majorque. C'est beau aussi parce que ça fait peur, c'est beau de loin, comme l'orage...






mardi 23 septembre 2014

Passager clandestin

Au réveil, à Cabrera, la pétole était tombée, le vent descendait des côteaux et venait chatouiller nos narines, clairement à l'affût. Alors, on est partis. C'était pas prévu mais fallait en profiter, surfer sur la vague, filer dans la brise.

Au début, les premières heures, on filait à 7 nœuds avec seulement le génois, c'était bien. Mais ça n'a pas duré :) Un ciel noir, quelques gros grains, des heures de pluie, et le moteur s'est de nouveau imposé.

Des heures en mer, et à part trois cargos, rien, personne. C'est fou de se dire qu'il n'y a personne autour sur des kilomètres. Je reste faire la vigie, parfois la brume tombe et on voit à 10 m. Parfois, elle se lève mais on est toujours les maîtres des environs. Je suis trempée jusqu'au os, la peau frippée comme une vieille en thalasso. Quand je remarque qu'en fait on n'est pas si seuls. Sur l'écoute de génois, un passager clandestin a pris place.






Jean-Michel Loiseau est un type chanceux. Enfin un type, on se comprend. Sûrement bringuebalé par un fort vent qui l'a ddésorienté, il volait épuisé quand il a trouvé Abalone pour oasis. Il est trempé et éreinté, mais il s'accroche malgré la gite. On s'attache l'air de rien à cet équipier inattendu. Il n'est plus là, on le cherche. Il a seulement changé de support, remonté dans les haubans, c'est bien plus stable et moins fatiguant pour ses gambettes de piaf. Il passera quelques heures avec nous, le temps de sécher et de profiter du ride qui le rapproche des côtes d'Ibiza... J'espère qu'il y fait la fête à cette heure-ci.


LEXIQUE :
Le génois, c'est la voile avant, c'est qui prend le vend par derrière, qu'on appelera aussi foc, d'où l'expression...
L'écoute de génois, c'est la corde qui sert à régler cette voile.

dimanche 21 septembre 2014

Autant au temps qu'au temps

Parenthèse contextuelle :
Il parait qu’on est dimanche soir. Je n’en avais pas la moindre idée. Je vois bien les journées et les étapes qu’on s’emploie à y mettre pour leur offrir un rythme. Je vous raconterai un de ces jours. Mais ça ne s’inscrit tellement plus dans un contexte binaire travail/week-end que le temps semble moins cyclique. Le temps se détend. Les journées s’enchainent, le temps se déroule, au fur et à mesure, qu’on avance. Ou bien, peut-être le suit-on. Maintenant que j’y pense, ça me semble très lié, très logique, le temps qui passe, le bateau qui avance. C’est sûrement cette impression incroyable dans un voyage d’avancer vraiment, sentiment peut-être d’ailleurs illusoire, qui donne son sens au temps.

Voilà tout ce que je sais :
Nous sommes sur bouée sur l’île de Cabrera, au Sud de Majorque. Cabrera c’est l’île aux chèvres, à côté de Conejera, l’île aux lapins.

Pour l’heure, je dirai 4 h après le coucher du soleil, à vue de nez. En tous ca, on a eu le temps de temps de boire l’apéro, de faire des crêpes, de les manger, de discuter un peu sous les étoiles

On est arrivés juste avant la nuit, pas encore mis pieds à terre. La traversée à été plutôt agréable malgré la pétole. La pétole, c’est quand y’a pas de vent. Voilà deux jours qu’on avance au moteur. Hier encore, les voiles aidaient un peu. Aujourd’hui, néant.

Abalone est lourd de nos trois poids, des réserves en bouffe, eau, carburant. On se traîne un peu, et sans vent de toutes façons, on est cuits. On a rencard à Tanger début octobre pour récupérer des équipiers. Pas le choix donc, il faut avancer.

Depuis Fornells, nous sommes passés à Mahon puis on a traversé vers Majorque, la plus grande île des Baléares. 
En quittant Porto Cristo à Marjoque, c’était carrément une mer d’huile. L’espression convient à merveille : pas le moindre souffle pour rider la mer. C’est bleu, brillant, lisse. C’est étrange toujours de rompre ce calme absolu en passant à travers, comme si on fripait de la soie. Ça devrait être le temps idéal pour tenter d’observer des mammifères, mais rien à l’horizon non plus, à part un dauphin passé sans se détourner au large de Majorque.

Autant dire que les traversée au moteur par ce genre de temps, les mousses sont au chômage technique. Pas grand chose à faire,  part regarder devant pour être sur que pendant qu’on se la coule douce, Abalone ne fonce pas droit sur une embarcation aussi relax que nous, ou même juste un casier de pêcheur qui risquerait de rompre notre ligne de traîne (plus de touche depuis le thon fuyard, malgré un nouveau matériel ambitieux et clinquant que Pierre vous présente ci-dessous avec enthousiasme). On range, on nettoie, on rêve, on pense. Et je prends quelques photos, tant qu'on n'est pas trop secoués :




Cette île, Cabrera, où on passe la nuit est une réserve naturelle. Elle a eu plusieurs vies avant : poste de défense contre les pirates, lieu d’enfermement des prisonniers français pendant les gueurres napoléonniennes… L’Espagne l’a rachetée en 1915 et ce caillou devint lieu d’essai de tirs. Depuis 1991, c’est une zone protégée. On a du réserver une bouée en amont auprès du Parc naturel. Le seul lieu de mouillage autorisé de l’île est limité à 50 bateaux en été. On n’est pas une vingtaine ce soir. Pas de lumière sur cette île peuplée juste de quelques militaires et quelques bergers. Un ciel incroyable. Dans cette baie si calme où l’on se sent si bien, seuls troubles la nuit des rires venus des quelques bateaux à côtés. Quelques chants parfois aussi. Et les cris audacieux des plus aventureux qui se lancent dans un bain de minuit. Je me tâte encore. Après tout il est presque minuit….

jeudi 18 septembre 2014

Fornells, Menorca, Baleares, ES

Ca y est, on est partis pour de vrai.

Je vous écris de Fornells, sur l’île de Minorque aux Baléares. Après une arrivée de nuit assez impressionnante à naviguer dans le noir dans un goulot, le réveil a été des plus doux : une baie abritée avec mer d’huile (des plus appréciables après deux jours de gite non stop), des petite maisons blanches, et une eau qui te demande de t'y plonger dès le réveil. 10 degrés de plus qu'à Saint-Malo, après la sieste je m'y jette.


Le petit départ a eu lieu lundi de Toulon. A 17h comme prévu, un comité de départ nous a poussé vers le large. Il y avait même un sonneur, poussant les adieux dans son biniou...

Petit départ car on a passé la nuit juste en face. C’est mardi qu’on a vraiment quitté la côte, pour deux jours de navigation. Après des départs en vent arrière un peu compliqué (pas une bonne allure pour ce rafiot), on a tracé au bon travers, les trois voiles gonflées à blocs comme nous.

Pendant une première pause Ricard mardi matin, le wizz du moulinet nous appelle. Une touche, une vraie sur la ligne de traîne. On a déjà perdu un rappala (ce leurre, faux poisson en plastique pour berner nos proies) un peu plus tôt, alors celui-ci on se dit qu’on l’aura. Pierre se donne à toutes sueurs pour remonter ce foutu thon qui résiste. Le moulinet lâche, tant pis, il finira au tournevis. Enfin la bête approche, on la voit, on l’a presque, 6kg de viande fraîche au bas mot.
Touts en sueurs et en excitation, on voit notre menu des jours suivants se faire la malle juste avant qu’on ai pu le récupérer. Notre matériel de pêche est foutu et on devra se contenter des provisions. Mais j’ai quand même une photo pour vous prouver qu’on ne l’a pas rêvé.

Premier quart de nuit sous les étoiles, ces ciels qu’on a oublié après quelques années en ville. Et mes souvenirs des étoiles qui ne reviennent pas. Faudra que tu me redises P’pa où trouver Bételgeuse ou Aldebaran.

En Bretonne, j’ai toujours eu ce préjugé de la Méditerranée, comme un lac, une mare, limite croûpie puisque sans marée, un truc informe. Bien sûr, c’est tout faux.

On a filé 7 nœuds de moyenne, des pointes à 8, une belle mer bien formée pour nous rappeler qu’on est tous petits au milieu de ce bazar. A cette époque de l’année, on a croisé peu de monde, quelques cargos, deux paquebots.
Abalone est un ketsch des chantiers Amel, un vieux pépère construit en 1976 (attention, prenez pas ça pour vous les vieux, on parle bien d’un bateau, vous êtes tous jeunes et vigoureux), mais il tient bien ces bons creux qui nous ont secoués. Notre sommeil par contre a été des plus légers, roulés qu’on était dans cette houle de large.

Après, quoi vous raconter, c’est la mer, beaucoup de temps à penser, comater, rêver, imaginer. Je parle avec vous les copains des fois. Souvent, dans ma tête, c’est la teuf, on est pleins. Et puis je me fais réveiller des songes par des paquets de mer sautant sur le pont. Vu notre salaison après deux jours de mer, on tente d’imaginer notre état après de plus longues traversées… Mes cheveux tendent vers les dreads, je ne vous promets pas d’y échapper…

On est arrivés assez éreintés. Ici au mouillage, on reprend des forces, du calme et de la bière fraîche. 
Notre premier beau coucher de soleil, pour vous, avec amour :
LEXIQUE : 
1 mile nautique = 1,852km
1 noeud = 1 mile par heure

dimanche 14 septembre 2014

Embarquer // Appareiller


Toulon, 14 septembre 2014, 4:35am

Saturday night fever dans le port de Toulon. Un moustique a insisté pour que j’arrête de dormir. J’ai voulu me rapprocher de la nature, docile, j’obéis aux injonctions du piquant.

Flatter son lecteur : si tu arrives ici, c’est qu’on se connaît, plus ou moins bien certes, mais on est à peu près proches, famille ou copains. Et ça tombe bien, je voulais en parler un peu de ces zouaves de mon cœur. J’ai fêté mon départ depuis des mois, beaucoup et partout, si bien entourée. Je suis partie dans un train un peu trop tôt, dans un état un peu trop penché.
Les gars, les filles, merci pour vos sourires, vos lumières.
Vous êtes les plus beaux, pour de vrai. Et je suis la plus chanceuse du Monde. Je pars chargée à bloc. Je vous emmène tous un peu, si vous le voulez bien. Soyez chouette, balancez des nouvelles aussi. Je sais que je vais oublier vos anniversaires, louper quelques kilos des fêtes, des merveilles de concerts, des sorties d’album, des folles nuits au New, l’ouverture du meilleur lieu à son de Paris, … Faites des révolutions, mais pas trop de gosses, ou en tous cas tenez moi au jus, que je ne débarque pas trop, quand je débarquerai.


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Abalone est au quai d’honneur, j’ai embarqué hier, nous serons l’un des premiers bateau de la flottille med'Hermione à appareiller. Va falloir m’arrêter quand je commence à parler comme ça d’ailleurs. Ceci ne sera pas un livre de bord.

embarquer : monter à bord d’un bateau

Mis à part ce foutu moustique, les nuits sont calmes au fond de la marina de Toulon. J’ai pris possession de la cabine arrière qui sera mienne jusqu’à Tanger, où une autre équipière qui nous rejoint s’y installera aussi. Deuxième nuit à bord donc. Bientôt je ne les compterai plus. Bientôt, elles seront moins calmes aussi. Dès mardi, on naviguera jour et nuit, ce qui veut dire qu'on se relaiera pour barrer la nuit et surveiller les alentours, histoire d'arriver à bons ports.
appareiller : pour un navire, quitter le port, prendre la mer

Après des mois de préparation et tergiversations, on part lundi à 17h. En attendant, on s‘active.

Quand je dis on, c’est l’équipage du départ. Si le gros du voyage se fera à six, les deux premières semaines, jusque Tanger, nous ne sommes que trois.
Gilles, retraité de la Marine Nationale, co-propriétaire de ce beau bateau, est à l’origine de ce projet de voyage.  Un an qu’il bosse pour faire participer Abalone à cette flottille partant de Toulon pour rejoindre l’Hermione sur les côtes américaines. On ne l’appelle pas capitaine, mais c’est tout comme. 
Pierre est né en 1990, fait 1m93 et aime la viande crue. Il part lui pour un tour complet de l’Atlantique, pendant un an.

Moi, petite mais joueuse quand même, la Transat’ reste mon principal plan marin, le but étant de rejoindre ensuite le Sud des Amériques pour retourner collectionner les plus beaux accent. Je naviguerai donc normalement jusqu'aux Antilles. Ensuite, si j'ai toujours cette soif d'horizon salé, je tenterai de trouver un embarquement pour le Venezuela ou la Colombie. Puis je rechausserai mon sac à dos.
On ne se connait pas mais on va vivre à tous les trois, puis les six dans un espace des plus restreint. Aventure je vous disais.

Les cales sont pleines de boîtes de conserves de toutes natures pour la survie en traversée. Le plus long temps en mer devrait être de 15 jours, entre le Cap Vert et les Antilles. Pas de frigo à bord mais une simple glacière. Après 3 ou 4 jours, plus possibilité d’avoir du frais, à moins que nos talents de pêcheurs nous offrent quelques régals.

Ici c'est le sud, j'ai jamais bu autant de rosé de ma vie. Le soleil tape, sauf demain pour notre départ je crois. On part à 17h. Je vous raconte des suites bientôt.