mardi 18 novembre 2014

Peu ou prou(e) - quand je divague

Un matin, allongée sur le roof, à l'avant du bateau.




Etalée sur le dos, les bras en croix. Mon jean de mer est si salé qu'il est une deuxième peau, vaguement moulé sur moi. La toile s'amenuise mais le sel la renforce. Bientôt, il tiendra debout. Il pourrait peut-être prendre les quarts à ma place. Mais je ne lui laisserait pas ce privilège. Jean de mer et haut de maillot, pourtant j'ai l'impression de n'être vêtue que de soleil.
Je ferme les yeux, j'entends la coque scinder la mer en deux, les vagues s'écarter en stéréo, le vent remonter la proue et me longer comme si j'étais partie prenante d'Abalone, une bosse de plastique, un tas d'amarre, un amas de voiles...

Le vent est chaud, j'ai choisi l'obscurité, les yeux fermés pour sentir plus fort. Mais je vois le soleil haut à travers mes paupières closes. Il racole en flamboyance. Je résiste à la tentation d'y jeter un œil.

Je fais la planche sur ce bateau qui file et je vole. Plus vite. Plus loin. Puis je ne sais plus. Depuis combien de temps est-ce que je suis allongée ici ? Peut-être est-ce que j'ai basculé à la verticale ? Peut-être que je me suis inclinée, transformée, tu vois l'idée ? Je crois que je suis devenue une figure de proue. Les bras étendus, je m'agrippe de chaque côté pour anticiper les embardées régulières du roulis. Ou alors pour résister à cette tentation de tout lâcher, m'extirper, m'envoler et plonger. Dessous, les abysses. Des milliers de mètres. La tentation du vide, comme à chaque désert, à chaque horizon.

Des embruns m'assaillent sur tribord. Je frissonne. Je ne suis donc pas de bois. Elles n'ont pas l'air si enjouée les belles figées de proue. Elles n'étendent pas les bras, souvent elles n'en ont pas. De toutes façons, j'ai la crinière trop courte pour faire une bonne sirène à afficher en proue. Pis je suis plutôt pirate.

Mardi 11 novembre, au large de la Mauritanie, à la proue d'Abalone, je suis certainement parmi les plus heureuses du monde. Pour être heureux, on dit qu'il en faut peu. Peu ou prou(e).

Des Canaries au Cap Vert, vie de bord


Je vous écris quelques milliers de kilomètres plus sud que la dernière fois. On poursuit toujours cette échappée belle, vaillants et heureux, mais on n'ira pas plus bas qu'ici. Maintenant ça sera surtout cap à l'Ouest.

Abalone caracole quand le vent le veut bien. On a mis 6 nuits et 5 jours à rallier le Cap Vert. 6 jours et 5 nuits sur la mer jolie, seuls à part des nuées de poissons volants qu'on se plait à observer des heures, des dauphins forcément, des baleines à peines croisées et une tortue qu'on a failli déranger en pleine sieste à l'approche du Cap Vert. Ah et des milliers d'étoiles forcément.

On a remis à poste la vieille barre franche, la barre à roue n'inspirant qu'une moyenne confiance par gros temps. Ça permet un sport quotidien apprécié des hommes du bord :

 

Ils s'attèlent aussi à d'autres tâches, je vous rassure :
Une de nos émotions de nav' est d'entendre filer la ligne sur le moulinet. Les touches sont plus nombreuses que les prises, il faut l'avouer. Elles arrivent souvent en milieu d'une collective sieste, ou d'un apéro. Tout le monde se rue à l'arrière, chacun son poste pour tenter de chopper la bête. Sauf que des fois elle nous échappe, laissant une impressionnante marque de dents sur le rappala, ou emportant carrément avec elle le poulpe de latex qui brille au bout de la ligne. Mais des fois quand même, ça fonctionne, pour le bonheur de nos estomac, la dorade coriphène est un délice :



Si dans côté on lutte pour tenter de chopper quelques chairs marines fraîches, d'un autre, on retrouve parfois sur le pont de suicidaires poissons qui ont loupé leur atterissage. Ces eaux atlantiques regorgent de poissons volants qui s'envolent en groupe, parfois sur des centaines de mètres, c'est vraiment impressionnant à observer. On les dérange alors c'est comme si ils s'échappaient de la coque, et planant au ras de l'eau, rebondissent parfois d'un coup de queue, et disparaisse se perdre quelques vagues plus loin. 

Au matin donc, on en trouve parfois qui ont loupé la vague et on atterri sur le roof au lieu d'amerrir. Celui-ci, tout petit, n'a pas eu de chance, mais au moins il connaîtra la gloire:



Et puis, on a fini par rallier la terre, où l'on profite de soirée moins penchées et secouées qu'à l'accoutumée pour installer une salle de projection dans le cockpit : un ordi des enceintes, des pop corn, des coussin et bienvenue au Grand Rex Abalonien.





samedi 8 novembre 2014

El Hierro, paraiso del fin del mundo

Après trois semaines à collectionner les volcans, on quitte ce soir la petite dernière des Canaries, el Hierro, qui nous a retourné le cœur par tant de douceurs.

Valverde, la capitale


Cette une île nouvelle, elle a même repris sa croissance il y a trois ans, comme quoi tout n'est peut-être pas perdu pour moi. Une éruption sous marine a eu lieu en 2011 juste en face du petit port de La Restinga où on prend notre pied et notre palme depuis quelques jours (imagine un port ou tu te lèves et tu plonges dans une eau limpide peuplée de poissons joyeux). L'île pousse encore, ça promet encore d'autres merveilles. Ici c'est Mars et la Lune, l'automne et l'été aride, le désert et l'Irlande, et on n'a pas tout vu.
Je découvre que l'automne me manquait presque à vivre dans le soleil, les odeurs de terre, d'humus et de forêt prennent au coeur directement. Pour une heure, c'est pas mal, puis on rebondit dans l'été canarien.


Hierro la magique vit à un autre rythme : on travaille quand on veut, on sourit beaucoup beaucoup, on écoute les légendes et on cherche des alternatives pour l'énergie et l'agriculture.

Ici on s'aventure en stop parce que les quelques guaguas (oui ici on appelle les minibus comme à Cuba, comme ça on s'approche encore davantage de nos objectifs caribéens) font quatre passages quotidiens les bons jours. Alors on marche, on s'aventure, on suit les coulées de laves, les falaises, les pinèdes, les dunes de sable noir, et les rencontres. Par exemple, ce gars qui est pêcheur, mais pas plus de 14 jours par mois sinon on ne vit plus. Il a fait des études puis il s'est dit que c'était quand même bien plus rigolo de vivre de sa passion. Un homme fait en sourires.

Garoé, l'arbre saint qui recueille l'eau des nuages

Et puis ce génie de l'île, un dreadeux qu'on croise deux fois par jours, à tous les coins de l'île, comme si il nous suivait, sauf qu'il est devant. Je pense qu'il est un duende qui veille sur son caillou. On l'a croisé encore aujourd'hui en rentrant d'une balade/baignade au cœur de la nouvelle mer de lave. Il nous a montré des tubes volcaniques, souhaité une bonne mer et rappelé qu'on sera toujours les bienvenus sur son île du bout du monde. Je nous souhaite tous d'y retourner, on s'y sent si bien.


To be, or not to be in Hierro ? To be, definitly

 On quitte ce soir ce petit bout de paradis pour en chercher un autre. Direction le Cap Vert, l'île de Sal. On prévoit un bon vent au départ, on devrait y arriver dans une semaine. Je vous dis à très vite.
Las de siempre









Abalone - nouvelle équipe

Abalone a mille visages, et on le redécouvre à chaque changement d'équipage.


Après les 3 semaines en équipage réduit avec Pierre et Gilles entre Toulon et Tanger (phase 1), le passage à 6 à bord entre Tanger et les Canaries (phase 2), voilà que notre Gilles, le capitaine originel est reparti en France, et le relai a été pris par deux des copropriétaires du navire, Rémi et Henri.

Voici donc les cinq joyeux du bord pour les prochaines étapes.

 


On est reparti cap à l'Ouest, puisque c'est par là qu'on va finalement. Et on a eu la chance de se faire porter, fort et vite par des vents favorables. Voilà qu'Abalone se lâche, heureux sûrement de sentir approcher de longues traversées


On pète les records de vent et de vitesse, et le soleil en rajoute une couche pour faire de nous les plus heureux, t'as vu ?



vendredi 31 octobre 2014

Lanzarote : volcan éteint, mer de lave, chef indien, corbeau, etc.



J'attendais Lanzarote au tournant, parce qu'après La belle Gomera, Gran Canaria ne m'avait par qu'un vaste caillou désertique converti en plongeoir pour blonds du nord, sans charme ni mystère aucun.

Mais chaque île est une, et Lanzarote est une autre unique.

Vue sur la Graciosa depuis Lanzarote

C'est une escale sociale qu'on fait ici.

D'abord, l'équipage change encore. Capitaine Gilles est reparti en France. Mais Abalone n'est pas le ketch d'un seul. Ils sont quatre co-propriétaires, et deux des historiques du bord nous ont donc rejoint ici. Le quatrième arrivera lui au Cap Vert.

Faisons l'appel : après les départs consécutifs de Guillaume, d'Annette et de Gilles, il reste Pierre, Pauline et moi des six d'avant. On repart demain à cinq, skippés par Rémi et Henri donc. On hisse les couleurs, on prépare la relève, on fait l'inventaire.




De l'humain encore, puisque Lanzarote est la première étape de rassemblement de la flottille Med'hermione. Je crois qu'on est 16 ou 17 maintenant au port d'Arrecife. On avait déjà croisé certains sur la route, sans avoir eu de temps pour la rencontre. Ici, enfin, on prend le temps de trinquer. C'est la plus longue de nos étapes jusqu'ici.

On commence à connaître la troupe, on retient au moins le nom des bateaux quand on oublie celui des gens. Alors pour beaucoup je m'appelle Abalone, comme Pauline, comme Pierre, nous sommes tous Abalone.  On a retrouvé Eraunsia, l'autre bateau-à-jeunes du projet (ils sont là d'ailleurs : http://eraunsia.blogspot.com ). On les avait croisé à leur arrivée à Madère, nous partions le lendemain.

Et un midi à Arrecife, alors qu'on parlait d'eux justement en se laissant pousser les envies "il faudrait qu'on trouve un moyen de savoir où ils sont, on pourrait louer une voiture avec eux pour visiter ici", on voit passer derrière la forêt de mât un pavillon Med'hermione. A croire qu'on les avait invoqué, c'est Eraunsia qui arrivait. Ça veut dire "tempête" en basque, c'est pas si dur à prononcer et ça fait des bons copains d'escales. Nous sommes désormais un gang d'équipiers moins de 30 ans à rôder joyeusement.

Nous voici donc à la découverte de Lanzarote, avec Jérôme Eraunsia, Sophie Eraunsia recevant ses parents sur cette escale. C'est donc lui le blond que tu ne connais pas sur les photos qui suivent de nos aventures volcaniques à traverser des mers de laves peuplées de pas grand chose à part des corbeaux noirs de jais et de deux insectes au kilomètre, on surfe les cendres, on saute les miradors, on joue, on rit, on vole.




 

Ce chef indien qu'on a rencontré de profil

c'est pas nous m'sieur



Tentative de bond
Oui, bon...


Oh YE (ah)

Oh NO, YE(ah)'s over

On the road again


jeudi 23 octobre 2014

Un oeil sur les Canaries : La Gomera - Tenerife - Gran Canaria


On a laissé Madère redevenir toute petite à l’horizon avec l’envie gourmande d’y retourner. On est partis sous voile, et bordel ce qu’on est bien quand le vent est avec nous. Les étoiles qui s’étaient faites rares et timides par les nuits de grosse lunes des semaines passées sont revenues. On trace des lignes entre elles pour dessiner dans le ciel. Quand je serai grande, je saurai le nom des étoiles, des nuages et peut-être même des vagues. Pour le moment, je tente de rassembler mes souvenirs d’observation céleste avec mon père. Et vu l’état de ma mémoire de retraitée, j’écoute plutôt les histoires des coéquipiers.
en vrai c'est mieux

On a vu un lever de lune déguisée en quartier d’orange flamboyant, et puis encore des dauphins, du plancton phosphorescent, mais toujours pas de rayon vert. Puis on a accosté à La Gomera, première île de l’archipel des Canaries qu’on explorera.
J’insiste auprès de Gilles depuis le départ pour qu’on fasse une escale à La Gomera, tout ça principalement à cause d’une chanson de Féloche qui parle de cette île et du silbo, langage sifflé employé par ses habitants des hauteurs pour communiquer et résister.


Abalone au mouillage playa de Abalo

On gambade l’île, ses versants caillouteux, ses reliques de terrasses qu’on imagine vertes et cultivées dans un passé pas si lointain, sa forêt, ses pics, ses troquets. En quête de vert, on trouvera bien d'autres verres dans une vallée oubliée.

 
L'apacheta gomera, le Teide en fond, toujours

Accident de chasse à la figue de barbarie : les épines, partout, s'incrustent

Mais le résultat est juteux




Pour la chasse aux mûres, toujours prévoir un copain grand

On chemine au taquet, on descend tant et plus, mes mollets s’en souviennent. On tente le stop sans trop de succès, on se fait coincer dans les nuages, on mate un match dans un bistrot perché, planqué dans la brume. Un seul client ce soir là, et une serveuse qui s'en fait pour nous. Le stop marche peu, mais le marin malheureux beaucoup mieux : une voiture fait revient nous chercher après avoir vu la face deséspérée de Guillaume tentant le tout pour le tout avec la technique qui a fait la renommée de notre captain. On s'échappera finalement, non sans avoir pris cette culte photo souvenir.

 
Puis on a quitté La Gomera, pour Tenerife, l’île juste en face qu’on observait de loin depuis notre arrivée. Le mont Teide, en son sein (checks les pics, tu comprendras), la fait ressembler à un volcan japonais. 
Tenerife avec le mont Teide et son délicieux profil
Une traversée musclée au coeur d'un grain, c'est sûrement la Gomera qui nous retenait, on ne savait pas encore que c'était elle la plus belle. Une nuit à Tenerife, quelques autres à Gran Canaria, et nous voici ce soir à Lanzarote, dernière étape dans l'archipel...

mardi 14 octobre 2014

Madeira, Ilha Maravilhosa, PORTUGAL.

Dès son approche, Madère s'est faite superbe.

"Coucou, on est 15 dauphins et on est vraiment trop contents que vous veniez à Madère alors on va sauter non stop tout autour d'Abalone, et nos potes oiseaux vont planer joyeusement aussi, d'accord ?"

Pour la dernière nuit en mer, je suis de dernier quart : je veille de 5h à 8h. Abalone est repassé sous voile depuis quelques heures. Le vent est portant, la mer plutôt caressante. Et au loin des lumières. On voit la terre, pour la première fois depuis 5 jours. C'est l'île de Porto Santo, juste avant Madère. Quelques petits points lumineux qui se multiplieront alors qu'on avance. Étrangement, la terre en vue ne me fait que peu d'effet, bien moins que la magie de ce bateau qui file au vent vers cette autre île qu'on espère.

Porto Santo passée, on aperçoit les premiers phares de Madère. Là c'est autre chose. L'île se dessine au fil des milles, et j'ai du mal à la quitter des yeux, comme si elle risquait de disparaitre si j'arrêtais ma veille. Mon quart s'achève au lever du soleil. J'hésite à réveiller tout le monde au son de "Macumba" qui me trotte en tête par homonymie latente (oui, toi aussi, apprécie mon humour qui s'amarine). Mais je me recouche juste en souriant.

L'île est volcanique et ça se voit de loin. Des côtes escarpées, découpées, incroyables, des nuances noires, rouges, ocres, qui ondulent sur les falaises. Ça me rappelle ces Açores que j'aime tellement. C'est un véritable show de la faune locale qui nous accueille. On en oublierait presque que la barre ne répond plus.
 
Démonter le boitier de la barre à roue avant d'arriver au port, pour se faire à l'idée que non, vraiment, rien à faire, le cable est mort



Abalone se repose donc ici, dans la petite marina de Quinta do Lorde.



A terre aussi, je suis séduite. Au sud, l'île est verdoyante est accueillante. Les maisons blanches sont semées au milieu des champs de bananiers. Ca monte et ça descend incessamment, cette île serait donc faite en vagues ?

L'ami Filipe est le meilleur guide et nous fait aimer son île plus encore. Il faudra tester tous les punchas : le traditionnel au miel, celui des pêcheurs au citron, et celui qu'on va goûter dans un rade haut perché où l'on dit qu'ils sont les meilleurs de l'île. Orange, maracuja et sueur, un cocktail forcément détonnant.

On loupera juste le Pé de cabra mais Filipe et sa douce m'ont fourni la recette : 20 cl de vin sec d'ici, une bière brune, une cuillère à café de cacao en poudre, des zestes de citron et du sucre. Pé de cabra veut dire pied de chèvre...

Sur ses bons conseils, on part en rando. 2h de marche aller vers une chute d'eau 100m plus haut perchée encore. On est au Nord de l'île, l'air se rafraichit. Mais surtout ça sent la forêt millénaire, on respire verts, la vue est incroyable et on est des indiens.











 Madère est intense, dans ses couleurs, ses virements et ses virages, ses vues et ses visages. Et on n'en a vu qu'un tout petit bout. Je reviendrai, je l'ai promis. A moi, à Filipe et à la forêt.