J'avance souvent au coup de tête, et je me sens vraiment bien dans ce genre de dynamique impromptue. C'est comme ça que je me suis retrouvée sur l'île de San Andrés, au large du Nicaragua, après m'être laissée tentée par un billet barratissimo (1) la veille pour le lendemain. Je savais pas trop où je m'embarquais. C'est une île, il y aura la mer partout, c'est le genre de donnée qui suffit à mon bonheur.
Dans le vol low cost au départ de
Bogota, l'ambiance était hyperdétendue. Quasiment que des
colombiens, s'offrant un week-end dans une île de rêve. Deux
applausos, des sourires qui montent, on sent une impatience
d'arriver, qui se change en apparente joie.
Je savais bien que je repartais vers
les Caraïbes, mais je n'imaginais pas que San Andrés ressemblerait
autant aux Antilles que je connais.
Une arrivée. La chaleur assaille dès qu'on échappe
à la clim de l'aéroport. Il fait nuit, l'air est lourd, et c'est
très agréable. A peine sortie du petit aéroport, les chauffeurs
de taxi sont à l'affut proposant leurs services. L'adresse de ma
posada ne dit rien à un premier, qui me propose tout de même de m'y
emmener. Je décline espérant trouver un bus, puis un meilleur prix.
Un autre se démène pour trouver des infos sur la localisation
exacte de cet endroit, mais sa connexion peine et il n'arrive à
rien. Il me propose de m'emmener pour le même prix que le précédent.
Mais lui je le sens bien, je le suis. C'est un taxi clando pourtant,
mais je ne fais tellement pas confiance au genre taxi en général
que je ne vois pas en quoi un clandestin serait pire.
El señor Loren m'emmène donc dans son vieux
cabriolet noir vers le quartier de San Luis, à 7km du centre de San
Andrès où se trouve l'aéroport. « Je pensais bien que tu
étais d'Europe, j'ai eu une novia suisse, elle parlait espagnol comme toi. - Ah mon copain est à moitié suisse - Alors on a déjà un point commun ».
Comme aux petites Antilles, ça drague sec. Ici on "coquetear". Ca sonnerait joli en français, "coquetter". Je suis donc de retour dans ces
terres où les hommes offrent des fruits aux femmes. Depuis notre
débarquement de Transat' à Sainte Lucie et les premières bananes et goyaves proposées contre un sourire, c'est une constance en
terre antillaises. En tant que voyageuse en quête de vitamines, cet aspect là me plait assez. Et hop, voilà déjà une mangue pour le petit dej' demain.
Loren a
tendance à déraper vers l'anglais en cours de phrase, il me demande si je le parle. Je me dis qu'il doit avoir
appris à force de fréquenter les gringas, et lui dit que je préfère
l'espagnol. Je ne comprendrai qu'après avoir rencontrer le dueño de
ma posada, qui lui ne parle qu'anglais : la population native
noire parle anglais.
Première surprise et troisième changement de
rythme radical depuis mon retour : après une semaine hispanophone
intense, et une semaine entourée de musiciens et cultureux français, voilà qu'on va
reswitcher. L'anglais se tinte d'accent créole, à la jamaïcaine. Mais ici, la langue créole est d'origine
anglaise, alors que dans les îles anglophones au Sud de la
Martinique, le créole est français. Faut suivre...
On longe la côte, et je devine la mer
derrière les rangs de palmiers, quelques bouées du chenal sont mes
étoiles polaires, quel bonheur, ce vert, ce rouge qui clignotent comme à la maison. Tous les chenaux sont un genre de maison pour radeaux vagabonds. Il fait nuit mais je sais que l'horizon n'est pas loin, les bateaux non plus. Mon sourire grimpe.
Premier matin sanandresino. Réveil à
l'aube aux coqs dans une chaleur déjà moite, ça madeleine dans mon
corps, je suis vraiment de retour aux Antilles.
Je suis la petite route pour faire
quelques courses à l'épicerie. Les gens saluent, en anglais, sourient.On voit au bout des petits chemins
quelques unes des ces sept couleurs qui caractérisent, à en croire
les prospectus, la mer d'ici.
Littoral crassou |
Et incitation à faire des efforts |
A part sur ces plages, nettoyées, la côte est dégueue, comme déjà à Capurgana il y a quelques mois. Des poubelles de tris ont été posées sans que cela puisse changer les habitudes d'une population pas forcément consciente que la mer ne fait pas tout disparaître. Certains pourtant tentent d'alarme, construisant des totems en déchets, gardiens recyclés de ce littoral croûlant sous le plastique.
Rocky Cay et sa vieille épave qui se dézingue |
Ce qui surprend au delà de ce bleu, de
ces bleus, aux allures paradisiaques, ce sont les épaves qui rompent
l'horizon. On en compte trois de ce côté là, échouées sur la
barrière de corail. L'un des petits cargos pris au piège rouille depuis 40 ans près du petit cayo
de Jhonny cay.
Ces sentinelles semblent prévenir les arrivants du
danger qui guette, mais cela ne suffit pas. Le plus récent se
serait échoué début avril, et pas sur que tout la cargaison ai
déjà été récupérée. Comme toujours dans ces cas là, chacun se
rejette la responsabilité, jusqu'à ce que la carcasse cède et que
tout ce qu'il y reste passe à la baille.
Rocky Cay et son épave, puis au second plan Johnny Cay, et une autre épave, la plus récente |
De celui ci, seuls sont émergés la poupe et la proue |
Vendeuse ambulante de donuts au dulce de leche, pas vraiment dans le dress code |
Je passe une journée intensive : lecture, baignade, lézardage.
Sur la plage, au bord de l'eau, une cérémonie de mariage en blanc pour de surement riches colombiens du continent sera le premier mariage religieux auquel j'assisterai (non, mes copains ne sont pas mieux que moi, c'est ça qu'est bon).
Sur la plage, au bord de l'eau, une cérémonie de mariage en blanc pour de surement riches colombiens du continent sera le premier mariage religieux auquel j'assisterai (non, mes copains ne sont pas mieux que moi, c'est ça qu'est bon).
Les touristes en maillots scrutent à quelques mètres des invités super sapés ce divertissement peu commun. Le
pasteur, pas banal lui non plus, demande à l'auditoire de prendre son smartphone pour
chercher le texte de l'apôtre Jean et le lire avec lui...
Souvent la famille entière a grimpé sur le scoot,ou bien une partie du mobilier nécessaire pour la soirée. Jusqu'à cinq, on est bon si il y a des enfants. Je vois un attirail impressionnant s'approcher en roulant : deux hommes sur un unique scoot transportent une batterie entière, crash et toms, le tout sous étuis. A proposer aux backliners français....
Le long de la route de la côte. Cette route de bord de mer est toujours mon fil d'Ariane. Les maisons ressemblent à ce qui dans mon imagination
correspondrait à l'architecture de la Louisiane : des baraques
en bois, peintes en couleur. L'algorythme est imparfait, les belles
maisons récemment repeintes côtoient celles qui s'usent aux vent et
celles qui ne sont plus que ruines ou n'ont jamais finies d'être
construites.
Des poules déplumées courent de chaque côté. Les
déchets sont nombreux, entre ceux qui s'accumulent, jetés en bord
de route, et ceux que les courants des Caraïbes ont draîné jusqu'à
la plage. De la rouille, de la peinture écaillée, je me rends
compte que j'y trouve du charme. Il y a quelque chose qui ne me
touche pas dans les endroits parfaitement cleans, les Trinidad
(Cuba), Villa de Leyva ou Cartagène. Je reconnais la beauté des
lieux, mais suis davantage touchée par ces endroits de vie et
d'usure. Je ne suis pas maso, je ne recherche pas l'insalubre, mais
je me rends compte que les endroits que j'aime sont différents,
spéciaux, étranges. San Andrés en est un.
Je finis par prendre ce bus, direction
El Centro. Je m'arrête dès que je vois des voiliers. Ils sont rares
par ici. N'empêche, j'ai toujours besoin de regarder les bateaux de
voyages et de rêver un peu. A la Nene's Marina, j'en compte 4 ou 5,
pas plus. Pas moyen d'aller discuter avec les marins du bord
puisqu'ils sont mouillés, je les observe un peu au zoom de mon
reflex, fait un tour dans le petit bar de la marina et m'échappe. Le
centre est une ville de 60 000 habitants, qui semble sur ce bout de
route constituée uniquement d'hôtels et hébergements touristiques
all inclusive. Ce que je suis bien dans ma posada sur la route de San
Luis, loin de ce gros bordel.
Je marche en sourire, heureuse du
moment, de l'endroit. Je vais pour faire demi tour mais j'aperçois
au fond des losanges si hauts dans le ciel : des cerfs volants,
de bric et de brocs, s'élèvent à 50m au moins.
Les enfants les domptent habilement, font des pauses baignades en les gardant en mire, en gèrent
parfois deux à la fois.
Je demande à un plagier qui insiste pour me « faire découvrir les sept couleurs de la mer » comment on dit cerf-volant en espagnol. « Cometa ». Cometa, me encanta.
Je me laisse hypnotiser un moment par ce ballet
aérien, et la chorégraphie des petits bonhommes qui courent dans le
sable pour l'orchestrer à terre.
En quatre jours, San Andrés m'en aura
fait voir de toute les couleurs, des rues au ciel, des gens à la
mer. Le temps va déclinant depuis mon arrivée, du soleil brûlant
des cartes postales aux orages récurrents qui rendent le ciel plus
foncé que la mer. Cette île est un coin de pas pareil, pas tellement colombien, pas nicaraguayen, pas panaméen, de langue pas vraiment
espagnole sans non plus être anglaise.
A l'abri du tourisme de masse, j'ai aimé ce bout de terre qui semble dériver, se chercher,
tiraillé entre des courants portants opposés.
(1) barratissimo : super pas cher
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