mardi 4 août 2015

Armila : bienvenue chez les Kunas


Ca y est, après quelques mois de vadrouilles en ses terres, je me sens enfin prête à laisser la Colombie derrière moi. Un au revoir, pas un adieu, forcément. On est à la frontière du Panama depuis deux semaines, et cette fois, on va la passer. Et par la mer tant qu'à faire.

Une demi heure de lancha pour atteindre Puerto Obaldia et nous voici dans un nouveau pays. Accueil militaire et fouille minutieuse des sacs, ça fait le drôle d'effet d'une perquisition : ma mochila, c'est ma maison. Rien à signaler ni dans le contenu de chaque trousse ou pochette, ni dans les renforts et coutures du sac, on est donc autorisés à circuler sur le territoire panaméen. La descente est fraîche, les sourires colombiens sont déjà un vague souvenir. Nouvelle terre, nouveaux mœurs.

En haut de la loma entre Purto Obaaldia et Armila,la vue sur ces kilomètres de plage et de jungle
Puerto Obaldia est un drôle de bled, peuplé essentiellement de cubains en transit qui remontent l'Amérique centrale vers la terre ricaine rêvée. A Puerto Obaldia, ils attendent de pouvoir acheter leur ticket pour l'avion qui leur fera faire un saut de puce jusque Panama city. Nous prendrons ce même avion le lendemain, mais pour cette première journée panaméenne, on a prévu une échappée à Armila, chez les Kuna

Les Kunas sont un peuple indigène vivant entre le nord de la Colombie et le Sud du Panama. La plupart sont insulaires; et vivent et contrôlent l'archipel des San Blas, des centaines d'îles des Caraibes; une des destination touristique phares du Panama.

On n'a pas de quoi s'offrir les San Blas, mais on est curieux de connaître un peu plus des Kunas. Vic de La Bohemia m'a dit d'aller rencontrer Nacho à Armila, 1h de marche de Puerto Obaldia. Il y a deux façons d'atteindre Armila, en lancha quand les conditions le permettent ou à pied, en grimpant le morne qui sépare le village de Puerto Obaldia. Sauf que la mission s'avère plus compliquée que prévu, les militaires ne voulant pas nous laisser partir seuls.

On nous dit d'abord qu'il faut un laisser passer, chose que nient les employés de l'immigration qui nous accompagnent jusqu'au checkpoint de l'armée pour leur confirmer qu'on n'arien de plu à présenter vu qu'on a déjà un passeport et un visa. Du coup, on nous demande d'etre accompagnés d'un guide ("on ne sait pas ce qu'il peut sepasser dans la foret"), puis ensuite que le guide s'enregistre auprès des militaires, procédé qui décourage les bonnes âmes acceptant qu'on les suive dans la montagne. Mais on s'accroche, on la veut cette nuit au village.

Jo avec les ,édecins du centre de santé remontant la lancha ambulance
Après quelques courses après des lanchas vaquent vers d'autres destinations, et des fausses joies de passants pas près à laisser leurs coordonnées des autorités, Jo donne un coup de main pour sortir de l'eau une barque, de laquelle descend Pautilinio, natif de Armila, qui justement y retourne et nous y conduit donc.

Le chemin grimpe fort mais est très simple à suivre; dur de comprendre l'acharne,ent des militaires pour que l'on parte accompagnés. Pautilinio est tout petit mais gambade depuis toujours ce sentier, il file, et nous avec. En haut du morne; on découvre un paysage impressionnant, des kilomètres et des kilomètres de foret et de plages, revoici le Darien côté Panaméen. Et dans cette jungle, quelques villages kunas, dont Armila.




On n'avait pas osé imaginer quoi que ce soit sur notre arrivée à Armila (superbe video ici sur le village), mais on n'aurait pas pu supposé être autant touchés.
Nacho, qui parle espagnol et russe couramment, en plus de la langue Kuna, nous accueille dans une cabane à disposition des rares visiteurs, et nous explique un peu le village. On est surpris tout d'abord par par la propreté, l'organisation et l'aspect paisible du village, à mille lieu du Puerto Obaldia voisin.
Des cabanes, rassemblées en petit hameaux par familles souvent. Partout des panneaux solaires : le village est totalement indépendant, entre énergie solaire et eau de la rivière. La rivière forme un bassin avant de se jeter à la mer, c'est une réserve d'eau idéale, un aquarium où pêcher et un bassin calme pour les jeux des plus petits; la mer juste derrière dressant une barrière de vagues.


Première grosse surprise : on se croirait au pays des enfants perdus; les gamins sont partouts ! Il y a 250 enfants scolarisés pour 700 habitants "c'est qu'ici on n'a pas la TV nous explique Nacho, alors les gens font des enfants". En effet, seules quelques unes des huttes ont monté des paraboles, qui semblent des OVNIS plantés sur les toits de palmes des cabanes.





Jonathan est un prénom courant au village















Avec autant de gosses à éduquer, l'école occupe un rôle central, et une place qui l'est aussi dans le village. On arrive en pleine répétitions de danses traditionnelles pour la fête de l'école qui aura lieu un mois plus tard. Les instits et profs parlent espagnol; et nous voici à comparer les systèmes éducatifs d'ici et là bas.

La plupart des enfants apprennent l'espagnol à l'école. Pas facile pour les instits qui ne parlent pas Kuna, quatre sur les douze en poste sur les écoles du village. Les mômes nous fixent, nous suivent, nous balancent tout heureux les quelques mots qu'ils baragouinent, "hola" ou "hello", tout ça c'est de la langue étrangère. A chaque rencontre, la curiosité est réciproque, on parle de voyages, de transat, de neige et autres de nos drôles de folies, ils racontent traditions et adaptation à la modernité.

De bon matin; sur le chemin de l'école


A l'école, répétition de danses traditionnelles
 


Notre appareil photo est un objet magique qui fascine les plus petits.


































El Tigre
 On rencontre aussi El Tigre, qui vient nous chercher pour nous montrer les préparatif d'une cérémonie qui aura lieu deux jours plus tard pour accueillir une jeune fille de douze ans qui vient d'avoir ses premières menstruations dans le monde des femmes. Elle est pour l'instant recluse avec sa famille dans une pièce à part d'une hutte collective. Puisqu'on ne pourra pas rester jusque là, El Tigre prend le temps de nous décrire les cérémonies qui auront alors lieu, et les différents étapes rituelles de la vie d'un ou une Kuna.












Le soir, le "saila", chef ou sage du village, nous accueille dans la maison du conseil. La maison du conseil est une grande baraque avec une assemblée de banc de bois de toute taille qui doit pouvoir accueillir tout le village les jours de conseils important.  C'est un lieu ouvert où tout le monde peut passer un moment,venir se poser, écouter. Des enfants jouent, certains font la sieste. Le saila et ses quelques conseillers prennent place dans les hamacs qui trônent au milieu. On y discute des affaires du village et de la communauté. Le saila est l'instance suprême, on s'en remet à lui et au conseil avant d'aller voir la police.

Dans la salle du conseil trônent les coupes récompensant l'équipe féminine de volley ball, fierté du village

Nacho fait l'intermédiaire en traduisant les paroles du saila. Il nous remercie de notre visite quand nous tentons de partager l'émotion et la gratitude résultant de cet accueil incroyable. On est officiellement invités pour le festival des tortues marines fin mai; quand les oeufs des tortues venues pondre sur la grande plage en février-mars éclosent et des centaines de petites tortues font leurs premiers pas vers la mer. On n'est pourtant pas du genre à faire des projets à long terme, mais on note bien cette idée dans un coin de nos caboches.


On serait bien resté beaucoup plus longtemps dans ce village hors de tout,pour comprendre mieux et échanger davantage.  Mais on a une avionnette à prendre, on repart donc Naki, avec le fils de Nacho le lendemain matin. Lui vit à Panama city, la capitale du Panama; il bosse dans l'informatique. Mais tente de mettre en place un bureau touristique à Puerto Obaldia qui lui permettrait de se rapprocher de son village. On crapahute le chemin jusque Puerto Obaldia tandis que que Naki nous raconte la révolution Kuna; et comment son peuple s'est rebellé contre les panaméens qui prétendaient les civiliser à coups d'église et d'interdictions. De cette guerre, ils ont gagné une autonomie sur le territoire Kuna qu'ils contrôlent désormais au point de pouvoir bloquer de grands projets industriels transnationaux.

Voilà donc notre première expérience panaméenne, une journée incroyable de partage et un départ avec déjà l'envie pressante d'y revenir. Peutêtre en mai donc, pour le festival des tortues...


Le foot, toujours et partout

On se dit qu'on reviendra pour le festival des tortues...



dimanche 2 août 2015

Procession aquatique entre Sapzurro et Capurgana



En chemin, il est bon de se trouver des petits endroits qu'on se plairait à appeler maison. Capurgana est clairement l'un d'entre eux. Sur ces plus de quatre mois passés en Colombie, il y aura eu 4 semaines de bonheur dans ce petit bout de terre, perdu dans le Darrien, que je décrivais déjà ici.


Pour la troisième fois, j'y retournais donc, avec toujours autant de plaisir. Et toujours le voyage réserve des surprises. Alors qu'on rentrait du village voisin de Sapzurro en barque à moteur, nous voilà pris au milieu d'une procession en l'honneur de la Vierge del Carmen,  qui protège notamment les lancheros, ces conducteurs de lanchas (barques à moteur ).




Quelle année en odeur de sainteté, je n'ai jamais été aussi souvent bénite que depuis que j'ai quitté la France. Au sortir de la messe, le prêtre asperge ses ouailles réparties dans les bateaux, et les touristes en profitent aussi. Tandis que le saint homme, pas fou, embarque sur un bateau de l'armée pour rejoindre la baie voisine de Capurgana, nous partons en convoi avec toutes les lanchas des villages, entre pétarades de feux d'artifices, chants sacrés et aguardiente (une eau de vie pas tendre ).





La lancha nous droppe à Capurgana, la procession ne dispense pas de payer son trajet; et les lanchas reprennent la mer direction d'Acandi où la vierge sera fêtée à la caribéenne, rhum, danses langoureuses et boom bass inclus.





Pistolet à eau vs flingue pour de vrai






procession de la virgen del Carmen

samedi 4 juillet 2015

Punta Gallina, la plus Nord du Sud

Le bout du monde, on a été le chercher. On a sauté avant que le soleil ose commencer à brûler le désert dans une jeep blanche immaculée, intérieur cuir impec, immatriculée au Venezuela. Le hasard fait que les trois autres passagers du véhicule en partance sont trois français, eux aussi mochileros au Long-cours. On se rappellera encore une fois que le monde est tout petit en découvrant que l'un d'entre eux est le bon pote d'un bon pote, et on trinquera à la santé des copains restés aux pays.



5h passées, le soleil émerge enfin, déjà ardent, et colore notre traversée du désert. Trois heures de piste, un tour en bateau dans la mangrove, et on atteint notre but à tous : Punta gallinas (la pointe des poules), le point le plus Nord de l'Amérique du Sud. 





Pour Alex qui fait partie de notre équipée et a commencé son voyage trois ans à Ushuaïa, tout au Sud, cela prend une importance particulière : il a donc vraiment traversé ce bout d'Amérique du Nord au Sud. Sans avoir enchainé autant, j'ai toujours aimé les bouts du monde. En voilà un de plus.







le phare du bout du monde


Un phare qui ressemble à une antenne radio, une dune tombant sur des plages désertes, et la poussières, du sable, et des cactus. Un cochon qui court après notre voiture, affublé d'un drôle de collier : c'est un cadre en bois, comme un piloris, pour l'empêcher d'aller s'empêtrer dans les cactus et autres plantes qui pique davantage. En journée, les enfants dressent des barrages pour stopper les bagnoles de touristes : ils tendent une ficelle du haut de leur petite taille ou dressé sur un piquet. Le tarif est souvent un paquet de chips ou une pièce. Notre chauffeur leur promet qu'il ramènera des chips demain, là il n'a plus rien, les petits va-nu-pieds baissent la garde.

et dans ces km de poussière, des apparitions

Vache songeuse, le regard sur l'horizon




inspection du sable du bout du monde



toujours ce vent qui décoiffe


le Sahara ? Non, la Colombie, presque le Vénez'









On est au bout de quelque chose, qui n'est pas une frontière, rempart illusoire tracé par l'homme et ses peurs, mais la limite d'une terre, les derniers bouts de sol avant la mer. On est heureux de fouler ce bout, son sable, sa poussière.
 

Vers un autre bout du monde : Cabo de la Vela

On a sauté dans des bus, des voitures, des jeeps, vu défiler des kilomètres de piste, de côtes, passé des terres desséchées à celles plus tropicales, puis le contraire, traversé la Guajira d'Ouest en Est, mais au final, ce qu'on voulait c'était le désert.

Une journée après avoir quitté Santa Marta, une dernière jeep lèvera la poussière pendant 2h et voilà qu'apparaît au milieu du grand rien un village planté en bord de mer : Cabo de la Vela, le cap de la voile.

Ce village, c'est d'abord le point d’atterrissage des véhicule qui traversent le désert, essentiellement des gros véhicules tous terrains, et des camions qui transportent gens et matériel. Cabo, c'est la fin du chemin, ou presque. La piste traverse le village, suivant la mer, et les bicoques sont construites de part et d'autres. Aux abords du bled, une jungle aride où semblent fleurir les déchets plastiques coincés dans les cactus par le vent incessant. Il soulève poussière et sable du désert, il souffle sans répit et doit être épuisant.




On se met à l'abri dans la première baraque, toute bleue, Cabo del Mar. La dueña loue des chambres, des hamacs les pieds dans l'eau pour une bouchée d'arepa et fait resto. C'est là qu'on s'installe, trop heureux de trouver un abris, de l'eau fraîche et un accès direct à la mer.










Florence lit dans sa chambre















Des déserts, j'en connais peu. On pourrait dire que l'océan en est un, avec cette même capacité d'attraction et de vertige qui m'avait surprise dans le seul autre désert où je me suis aventurée : le salar d'Uyuni, le plus grand désert de sel du monde, plus de 10 000km2 au sud ouest de la Bolivie.

La Guajira, ce département le plus nord est de la Colombie, se termine par un désert parfaitement hostile et inhospitalier. Rien ne peut pousser, et c'est à se demander ce qu'y font des Hommes. On dit qu'il n'y a pas plu depuis 3 ans. Quelques vaches maigres, des ânes, des chèvres broutent la curieuse végétation qui parvient à pousser dans cette terre à l'air de poussière. Cactus essentiellement. 

Le peuple indigène Wayuu qui y vit depuis le XVIe siècle y avait trouvé refuge aux temps des invasions espagnoles, et on comprends que les colons aient renoncés à investir de bout de terre entre la Colombie et le Venezuela. Ainsi les Wayuu ont il résisté à l'envahisseur, et résistent ils encore au diktat des frontières, vivant sur un territoire à cheval sur deux états.


Le tourisme qui s'est développé ces dernières années a permis aux Wayuus de développer une nouvelle source de revenu : la vente d'artisanat. Toute la journée, femmes et enfants errent dans le village de Cabo tentant de vendre mochilas colorées et bracelets aux quelques touristes s'étant aventurés jusque là bas. Leurs sacs sont revendus au prix fort dans les boutiques de souvenir du pays, deux à trois fois le prix d'achat auprès des artisanes.









On a beau être au bout du monde, ou pas loin, il y a des choses auxquelles on n'échappe pas. La Copa de America a débuté au Chili et les Colombiens sont passionnés par leur équipe de foot. 
Aussi dans le bar du village qui a le plus grand écran, il y a foule ce dimanche aprem pour le premier match de la "seleccion". Des colombiens en vacances engoncés leur maillot national jaune vif aux locaux du village, des quelques gringos mochileros et kitesurfer venus prendre le vent à Cabo aux enfants Wayuu qui en oublie presque de démarcher pour vendre leus babioles, tout le monde est là. Ce match est un peu particulier : la Colombie joue contre le voisin vénézuelien, et la frontière est à quelques dizaines de kilomètres à peine. On boit de la bière vénezuelienne au lieu de l'Aguila traditionnelle, pourtant sponsor officielle de l'équipe nationale. Mais les cris encouragent bien la Colombie. 

fresque du bar à foot
Le Venezuela gagnera ce premier match, et quelques venezueliens expatriés à Cabo planqueront leur joie.

Flo, moi et l'une des supportrices les plus en beautés
Dernier soir à Cabo. Malgré la défaite de la seleccion, le bistrot du bout du village a sorti des spotlights dignes de la meilleurs discothèque de Fougères. Le bar est en fait un comptoir en plein air, où on peut commander bières vénézuéliennes et des empanadas frites dont l'odeur embaume et engraisse les environs. La piste de terre battue par le vent est occupée par des couples dansant la champetta, sorte de zouk plus explicite encore sur des musiques aux paroles au tout aussi démonstratives. On danse en famille, entre amis, collés serrés, ce perreo galactico ( comment traduire ça ? « chiennerie galactique »). Nous on sirote notre bière qui dès les premières gorgées se trouble de sable, on compte les quelques étoiles et on va rejoindre nos hamacs pour une dernière nuit suspendue au dessus de la mer tandis que Cabo continue de palpiter aux rythmes mêlées du concours de sonos, typiques aux nuits sur la côte colombienne....