vendredi 2 octobre 2015

La ruée vers l'eau

Le refrain est le même de la côte caraïbe colombienne aux cerros surplombant San José, en passant par la jungle panaméenne. A s'engager sur des projets agricoles, on y est particulièrement sensibilisés. Là-bas, on parle seulement de sécheresse, de saison des pluies qui n'arrive pas et de réserves d'eau qui s'épuisent. Ici, on accuse El Niño, ce drôle de phénomène météorologique planétaire qui inonde les uns pour assécher les autres. 

Un mercredi de septembre, on décidait de passer une journée de balade au Parc National Diria, sans se douter que cette échappée belle s'orienterait forcément encore vers cette question de l'eau.



Une rando pieds nus dans le rio Diria, des plus agréables

Nous sommes dans la province du Guanacaste depuis quelques jours, reçus par Orietta, une amie de ma mère, pas vue depuis 20 ans. Pour cette escapade, on suit Doña Sara, sa tante. Quand on a fait part de notre envie d'aller découvrir le parc Diria, Doña Sara s'est de suite proposée de nous y accompagner. Ses parents avaient une ferme dans ce qui est aujourd'hui cette réserve, elle y a passé son enfance jusqu'à ce qu'ils déménagent pour se rapprocher de l'école évitant aux petits les 4h de marche quotidienne. Elle connait par cœur ce bout de terre et ceux qui y vivent encore.


Au passage d'une finca, avec Doña Sara, Don Loren et la dueña





"Le plus simple, c'est de suivre la rivière". Ça semble aisé pour les grands explorateurs que nous sommes, sauf que la rivière Diria n'est plus que fluet ruisseau, asséché jusqu'à disparaître même parfois totalement. Doña Sara nous raconte cette grosse rivière où ils jouaient gamins, où il fallait faire attention avec le courant, où certains se sont noyés. Parfois, l'eau montait tellement que les habitants de la vallée pouvaient être coincés sur place pendant 8 jours. On prévoyait toujours des provisions en cas de siège pour cause de rio trop haut. Et si vraiment l'eau ne redescendait pas, le père partirait à cheval en faisant tout le tour par les cerros voisins pour rejoindre la ville en évitant la crue.

A l'entrée du Parc, avec Don Loren, le garde, Doña Sara et mon amigo el burro


Doña Sara a quitté la vallée gamine. Elle a aujourd'hui la soixantaine passé, mais pour les habitants, elle reste "Sarita", la petite Sara. Toutes les fincas du coin appartenaient à des membres d'une même famille. Les liens sont parfois bien éloignés et durs à remonter, mais tous se connaissent ainsi depuis toujours. On rentre saluer dans chaque maison où l'on passe. Sara annonce fièrement qu'on arrive à pied par la rivière. Plus personne ne prend ce chemin pourtant enchanteur et ombragé.  Les gens sont surpris et ravis de ces petits français qui veulent connaître ce bout de monde que les habitants de Santa Cruz, la ville toute proche, ne fréquentent plus.






Dans la première maison, on nous annonce que le chemin s'est perdu, qu'on n'y arrivera pas. Dans la seconde, Don Lorenzo, qui aide la propriétaire bien trop âgée pour veiller seule sa finca, décide de nous accompagner. Il s'en souvient lui du chemin. On suit donc nos deux guides de luxe à travers ce petit coin devenu réserve. On fait un crochet émouvant par la ferme où a grandi Doña Sara. Partout, on est accueillis en amis.

ca c'est un boa qui termine d'avaler un iguane, encore une jolie rencontre


A la redescente, on est attendue pour le café chez Doña Chilla. A 89 ans, elle vit dans cette finca isolée et monte toujours vaillamment le chemin si pentu pour rejoindre leur maison surplombant la rivière. Même en portant les courses. Elle vit avec son mari et leurs deux grands fils revenus à la maison pour prendre soin d'eux.






Le puit de Doña Chilla
Pendant que l'eau du café chauffe sur le brasier, ils nous racontent tous ensemble l'histoire de leur plus grande fortune : leur puit. 

Ils l'ont creusé eux même trente ans plus tôt. Avant, ils descendaient toujours à la rivière chercher l'eau dont ils avaient besoin pour le quotidien, la cuisine. Pour vivre. 







On garde l'eau puisée dans un vase de terre cuite pour qu'elle reste fraiche

Un jour, un touriste espagnol qui se baignait à la rivière en bas a demandé à Doña Chilla de quoi boire. Elle lui a offert de l'eau fraîche, du café et de quoi grignoter. L'homme s'est étonné qu'ils mettent tant d'énergie et de sueur pour remonter l'eau alors qu'ils en avaient tout près. Il a demandé a un des fils de lui couper un bâton en forme de Y. Appuyant les deux branches du Y contre sa poitrine, il a commencé à parcourir le terrain en le sondant avec ce bout de bois. Puis il s'est arrêté leur annonçant qu'ici, ils pourraient creuser. 




Le puit de Doña Chilla
Un mercredi de mai 1974, les fils de la famille ont terminé le puit qui leur sert depuis à boire, cuisiner, laver. 

L'ingénieur, comme elle l'appelle, le sourcier, le sorcier, ce touriste espagnol, n'est jamais revenu. 









Cette année, la sécheresse est telle que les poules n'en pondent plus. C'est qu'elles en perdent leur plumes, et le coq moins alléché ne ferait plus son boulot. Mais ce qui inquiète vraiment Doña Chilla, c'est le niveau d'eau qui diminue dans son puit, qui est toujours leur unique ressource en eau.


Doña Chilla nous montre l'outil dont elle se sert pour creuser les jicaras




On n'en est pas là, on reprend un peu de café, une tortilla cuite au feu de bois, un semblant de queso casero et on rit ensemble au bonheur de la vie simple. 
On repart avec des jicaras (calebasses qui servent justement à recueillir l'eau) vidées par les mains ridées de Doña Chilla, et une promesse qu'on sera toujours les bienvenus chez eux. 

De ce genre d'endroit, on ne repart jamais tout à fait.








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